Salut lecteur, salut lectrice. Pour cette expérience de lecture et de découverte, je change de mes habitudes. Ce ne sera pas une Déesse, mais un Dieu que je te propose d’explorer aujourd’hui. Quoi que le genre de Dionysos est le cadet de ses propres soucis. Profondément androgyne et anticonformiste, il change de visage au gré de ses humeurs et de la nécessité du moment. A travers le livre de Vikki Bramshaw, sobrement intitulé Dionysos, que les éditions Danae m’ont gentiment envoyé et par le spectre de ma compréhension personnelle, ouvrons nos esprits au Masculin et aux Dieux Inspirants, et commençons fort avec le si mystérieux Dionysos.
Dionysos mythologique
Dans la version simple, Dionysos est le fils de Zeus et de Sémélé. Evidement, cette dernière a attiré la jalousie d’Héra qui, on le sait, supporte fort mal les frasques de son fertilisateur de mari. Elle a convaincu la pauvre Sémélé de tanner Zeus pour qu’il se montre à elle sous sa vraie forme. Tu imagines bien que la vision du ciel de foudre et de tempête a grillé la nymphe sur place. Elle est morte d’avoir regardé Zeus en face. Mais comme son enfant n’était pas tout à fait prêt à sortir du ventre de sa mère, Zeus se l’est jouée hermaphrodite et l’a rangé dans sa cuisse pour amener la gestation à son terme lui-même. En a émergé Dionysos. Si tu te demandes d’où sort l’expression “être sorti de la cuisse de Jupiter”, et bien c’est de là.
Je n’entrerai pas dans les détails de la version complexe, mais Dionysos est une divinité héritée de l’orient, probablement de l’Inde. Il a également une génèse intéressante dans le mythe orphique, où il devient fils de Zeus et Perséphone (l’incontinent dieu des dieux se serait changé en serpent pour séduire la dame). Le fait est que son origine mythologique est floue, fluctuante et mouvante, comme lui. Chaque région et chaque courant qui l’a adopté lui a donné une origine différente en fonction de ses besoins. Dans tous les cas, il est né plusieurs fois et c’est important car ça donne une info capitale sur son rôle cosmique.
Vikki Bramshaw va plus loin en faisant de cette figure quelque chose d’ancien qui a été amalgamé aux dieux grecs les plus populaires, tels que Zeus lui-même ou Apollon. Je te laisse découvrir, c’est trop touffu pour être abordé en un seul article (et oui, il y a des choix narratifs dans mes articles… manifestement ce n’est pas acquis pour tout le monde alors une fois n’est pas coutume, je précise)
Dionysos cosmique
Dionysos a plusieurs épithètes qui nous renseignent sur son statut de Dieu non pas de la végétation, mais solaire. Incroyable n’est-ce pas ? En tant que Zagrée, il est fils de Perséphone, ce qui l’attache directement aux Enfers. En tant que Bromios (le terrible), il est fils de Sémélé et présente un visage beaucoup plus destructeur. Ces deux faces représentent le Soleil manifesté ou non manifesté. En Enfer, il est le soleil doux de l’hiver et le soleil absent de la nuit dont on chante les louanges. En Grèce, c’est lui qui est le plus agréable à vivre, malgré son absence : contrairement aux pays du Nord, la Grèce connait des hivers doux et des nuits rafraichissantes. Au contraire, en tant que Bromios, le terrible, Dionysos est le Soleil de Midi et celui de l’Eté, qui grille les récoltes sur pieds et qui dévore la chair (coups de soleil, insolations et autres maladies, quand il est au top de sa forme). Dans ce contexte, il est bien, bien manifesté. Et on l’honore pour le calmer un peu, ce Soleil qui dévore les gens tout crus (et encore vivants) !
Dionysos cosmique, c’est cette valse du soleil dont on a besoin mais qui apparait ou disparait, qui se manifeste ou qui s’éclipse. Dans une troisième forme, il transcende les deux précédentes. Il devient Iacchos, fils de Déméter, et appartient pleinement aux célébrations d’Eleusis qui honorent les mystères de la Vie (Bromios le manifesté), de la Mort (Zagrée le non manifesté) et de la Renaissance (Iacchos, celui qui émerge entre les cuisses de Baubo dans la danse extatique qui permettra a Demeter de sortir de sa dépression).
Dionysos psychologique
Cette dualité de Dionysos apparait pleinement dans le symbole que tu connais bien, ces deux masques représentant l’art du théâtre, l’un qui rit l’autre qui pleure. L’un qui parle de comédie, l’autre de tragédie. Les masques sont l’apanage de Dionysos et l’art du théâtre semble avoir été inventé pour lui. Pour mimer ses mythes, en portant des masques qui permettaient d’être possédé par l’esprit du dieu dans une forme de transe quasi-chamanique. Ce qui d’une part donne une piste sur l’ancienneté de l’énergie dont il est question, et d’autre part permet de toucher du doigt l’intérêt psychologique d’un travail approfondi avec un tel dieu.
A travers le jeu des masques et des rôles, Dionysos permet d’accéder à la vérité intérieure parce qu’il permet de comprendre les masques que nous portons et les rôles que nous jouons (mes amis rôlistes qui lirons ces lignes seront ravis d’apprendre qu’ils sont inspirés par Dionysos himself !).
A travers la transe, Dionysos permet de dépasser ses propres limitations, de se libérer des-dits masques et de se connecter profondément à nos individualités, à l’atome primordial et essentiel, à ce que nous sommes au delà de toute détermination. Bon. Il y a des étapes quand même hein. Et clairement, ce n’est pas sans risques. A l’époque, les mystes étaient accompagnés par des prêtres avancés et compétents (j’ose espérer).
Quid des psychotropes ? J’ai préféré parler des masques pour des raisons évidentes, mais il semble que les psychotropes étaient utilisés à l’époque dans des rituels encadrés. Vikki Bramshaw semble dire que l’usage était finalement très limité et contrôlé. Ainsi, l’ivresse évoque t-elle plutôt le visage Bromios et n’était pas du tout utilisée au quotidien. Au contraire, il semblerait que le quotidien implique plutôt une lucidité et une clarté d’esprit indispensables à la jouissance de sa propre souveraineté. Avec un culte aussi polymorphe, difficile de faire des généralités toutefois. Bref, ne te cache pas derrière Dionysos pour t’en mettre plein le nez et sois responsable de tes actes. Si tu as des dépendances, c’est le contraire de l’état d’esprit de Dionysos alors libère toi et fais toi aider si tu en as besoin.
Dionysos métaphysique
Libérateur, solaire, anticonformiste, polymorphe et en perpétuel mouvement. Dionysos a quelque chose de fondamentalement entropique, quand on y pense. Et c’est crucial, car sans ce mouvement, sans cette folie (douce ou furieuse, selon le visage invoqué), pas de vie. Dionysos fait partie de la triade des énergies qui “animent le monde”. Il est l’Animus mundi. Il est ce qui fait des différents cailloux et boules de feu qui composent l’univers autre chose que des cailloux et des boules de feu. Il met du mouvement, il met du souffle, il met du sang et de la sueur (Vikki Bramshaw ne parle pas de sperme ni de cyprine, mais ca pourrait sans doute). Il forme une Triade avec Hermès et Hécate, qui sont avec lui ceux qui peuvent bouger et faire bouger.
Hermès est concrètement “tout ce qui circule” (peu importe la manière). Informations, marchandises, gens… il peut aller partout.
Hécate, quant à elle, est “nulle part”. Elle est le carrefour. Le moment du choix. Elle est dans ce non-lieu du centre absolu, le centre de convergence et de divergence ultime.
Quant à Dionysos, il anime. Entre Hécate et Hermès, il met en mouvement. C’est lui le Danseur Cosmique (si depuis tout à l’heure tu sentais qu’il a un lien avec Siva l’Indien, tu avais raison, mais des gens ont déjà écrit des livres à ce sujet). Il est le moment précis ou tout se met en mouvement, le déséquilibre nécessaire à la mise en route du Grand Ballet de la Vie. Il est également un état d’esprit, qui fait de la vie un spectacle total, avec sons et lumières. Une graine de chaos qui permet à l’univers d’accoucher des étoiles.
Quel rituel avec Dionysos ?
Tous les rituels visant à te libérer de tes limitations intérieures personnelles sont d’excellentes portes d’entrée avec Dionysos, ainsi que toutes les célébrations liées au soleil que l’on voit et que l’on ne voit pas.
Vikki Bramshaw propose un calendrier liturgique en fin de livre, indiquant qu’il y avait de nombreuses fêtes, presque une pour chaque mois de l’année avec Dionysos. Et même certaines sur trois ans. A toi de voir comment tu veux gérer un calendrier liturgique. Mais voici déjà quelques thèmes que tu peux aborder très facilement dans notre modernité qui a tant perdu de son rapport au sacré :
– Les solstices d’été et d’hiver peuvent être consacrés respectivement à Dionysos Bormios et Dionysos Zagrée, pour célébrer le soleil manifesté et le soleil non manifesté.
– Les carnavals sont d’excellentes occasions de célébrer Dionysos dans son aspect libérateur des carcans sociaux, ainsi que la Marche des Fiertés et toute autre manifestation qui honore l’individuation, le droit d’être soi et le triomphe de la liberté de l’être.
– Tu peux honorer sa renaissance autour de l’équinoxe d’automne, pour sa forme de Iacchos, en même temps que Perséphone.
-Les représentations de théâtre vivant particulièrement dans une dynamique cathartique par le rire ou le tragique sont des occasions de rituels insoupçonnés (je pense aux spectacles de danse burlesque par exemple), ainsi que l’expérience du jeu de rôle (sur table ou Grandeur nature)
Ce qu’il faut alors, c’est la conscience aigue de ce que tu es en train de faire. L’intention derrière la célébration a d’autant plus d’impact que la forme n’est pas conditionnée.
Quant aux offrandes, Vikki Bramshaw parle a juste titre de sang, de sueur et de souffle. Il faut y mettre des efforts, de l’intention, du travail. Il ne s’agit plus de sacrifier un bœuf. Poser sur l’autel un morceau de viande acheté dans une barquette au supermarché n’a pas du tout la même valeur que sacrifier un animal qui coutait plusieurs jours de salaire à l’époque (donc de la sueur et du souffle). Dionysos aime que tu viennes avec ta chair, avec tes efforts et avec ton temps. A toi de voir, dans cette optique, ce qui te parait le plus pertinent, en fonction des intentions de ton rituel (célébration, requête, autres…). Te fabriquer un costume intégral pour un jeu de rôle en grandeur nature ou pour un spectacle vivant ou de manifestation publique peut avoir bien plus de sens pour lui que de poser quoi que ce soit sur une table.
En tous cas, le solstice d’hiver approche, et après ça, le Carnaval ne sera pas loin… alors dis moi… vas tu honorer l’Ame du Monde cette année ?